Histoire des Juifs en Flandre française

Nous ne savons peu de choses sur la présence des Juifs dans le Westhoek avant la Révolution. Georges Callois indique que « quelques familles israélites vinrent se fixer à Dunkerque sous le règne de Louis XV » sans citer de sources. les comptes de la ville de Dunkerque révèlent la présence de jeunes juifs qui se convertissent en 1734 et 1739 et d’un juif de Londres empruntant une somme à l’un de ses coreligionnaires, marchand à Dunkerque. On peut penser que des Juifs, principalement des colporteurs originaires majoritairement d’Alsace et de Lorraine, circulaient à travers le plat pays sans toutefois s’y fixer. Un mémoire rédigé en 1782 à Saint Omer fait état d’un juif venant de Metz et se dirigeant vers Dunkerque. Le cahier de doléances de Caestre demandait « que dorénavant soit défendu aux Juifs de courir (les campagnes) et vendre partout d’étoffes. »

Sous la Révolution et l’Empire.

Le 27 septembre 1791 par un vote de l’Assemblée Constituante, les Juifs de France obtiennent leur émancipation et deviennent des citoyens à part entière.

Le cantonnement des troupes près de la frontière, lors des guerres révolutionnaires attire des colporteurs juifs qui vendent des marchandises très variés auprès des soldats et dans les villes de garnison.

Entre 1793 et 1799, on peut chiffrer la population juive de Bergues à ± 9 personnes, celle de Dunkerque à ± 60 personnes et celle de Saint Omer autour de 70 personnes. La communauté juive est donc modeste. Elle est aussi fragile. Un dénombrement en 1810 ne recense plus aucun juif à Bergues et à Saint Omer alors qu’il n’en reste que 45 à Dunkerque.

Plusieurs raisons expliquent cette chute démographique. La guerre s’éloigne (Allemagne) ou a lieu sur d’autres fronts (Espagne). Certains juifs colporteurs décident de suivre les troupes pour leurs affaires. D’autres migrent vers l’Angleterre ou vers des centres économiques plus dynamiques comme Lyon.
Car la grande majorité des juifs en Flandre sont très pauvres. Selon la liste de 1810, les chefs de famille sont presque tous indigents, ne possèdent pas de biens et louent une chambre dans une auberge ou un cabaret comme celui de la rue de la Révolution à Dunkerque.

Une forte mobilité existe donc. Isaac Caën et Abraham Léon vivent un temps à Bergues avec femmes et enfants avant de partir le premier pour Dunkerque en 1796, le second pour Saint Omer en 1797. Cerf Sauwéné (ou Souwéine) se marie avec Jeannette Benjamin à Bergues en 1794 avant de rejoindre Dunkerque en 1810. On connaît un Mayer Mardochée résidant temporairement à Saint Omer.

Certains connaissent la délinquance comme Nermann Brestal (ou Bresselot) pour une affaire de vol de tissu en 1793 ou Isaac Salomon, condamné à 8 mois de prison en 1802 pour vol à la tire sur le marché de Bailleul.

D’autres, par contre, comme Cerf Ephrahim à Bergues jouissent d’une bonne réputation. Citoyen actif de la commune, il est également fusilier de la garde nationale.

Si la communauté juive est peu importante, elle ne demeure pas moins attachée à la religion. A Dunkerque, Joël Gabriel se présente comme le « ministre du culte judaïque » en 1799 – 1800. Il remplit également les fonctions d’abatteur rituel. Preuve que la casherout (nourriture casher) est respectée, tout comme les fêtes juives. En effet, Mathieu Marix, assigné comme témoin dans une histoire d’escroquerie, refusera de signer « parce que la religion défend de le faire les jours de fêtes. » On connaît, à la même époque, un Abraham Hirsch chirurgien, c’est-à-dire circonciseur.

Le niveau culturel devait également être assez élevé. En effet, au bas des déclarations de l’Etat civil, un grand nombre de Juifs signe en lettres hébraïques y compris les femmes. L’hébreu est enseigné aux enfants comme en témoigne l’existence d’un Moïse Boysse « instituteur particulier pour l’hébreu » à Saint Omer. Par contre à Dunkerque, quatre enfants étaient envoyés dans les écoles publiques en 1808.

Au début du 19e siècle (1808 – 1810), la communauté de Dunkerque, la seconde du Nord, loin derrière Lille, comprenait 31 personnes dont la plupart y résidaient déjà en 1789. Deux juifs (dont Oury-Caën, marchand de drap) tenaient boutique, d’autres (Louis Wolff, Jacques Castor et Jean Mayer) vendaient de la bonneterie et des lunettes. Mais la majorité était colporteurs (Joseph Caron, Benoît David père et fils, Joël Gabriel et Cerf Sauwéné). Tous avaient demandé et obtenu la patente en vertu de l’article 7 du décret du 17 mars 1808. Celui-ci précisait que « nul Juif ne pourra se livrer à aucun commerce, négoce ou trafic quelconque, sans avoir reçu à cet effet une patente du préfet du département, laquelle ne sera accordée que sur un certificat du conseil municipal » et d’un certificat de bonne conduire fourni par le consistoire.

Sous la IIIe République …

Le demi siècle qui suit la fin de l’Empire est une période calme dans l’histoire des Juifs en Flandre. Dunkerque n’hébergerait plus qu’un couple juif en 1820 et la population ne dépasse pas 20 personnes en 1870. Il faut attendre l’arrivée d’Alsaciens et de Lorrains après la défaire de 1871, pour voir croître à nouveau la population juive en Flandre (94 personnes en 1896). La majorité vit du commerce, grand ou petit, et de l’artisanat. On les retrouve notamment dans les rues Clemenceau, Alexandre III, Poincaré, Neuve et le quai Hollandais à Dunkerque. Quelques-uns s’assurent une meilleure place dans la société par le biais d’une place dans l’administration (Dunkerque, Hazebrouck, Cassel), le corps enseignant ou l’armée. Mais, pour eux, le séjour en Flandre ne dure pas.

A l’inverse du bassin minier, de l’agglomération lilloise et de Valenciennes, Dunkerque ne sera pas touchée par les migrations des juifs polonais et turcs pendant l’entre deux guerres.

Le culte s’organise. Un carré spécifique dans le cimetière de Dunkerque est créé dès 18541. Un oratoire est aménagé dans une maison, 30 rue du Château, entièrement vouée au culte et au logement du ministre officiant et ce dès la fin du 19e siècle2.

Lire également sur Westhoekpedia : Une source pour l’histoire de la communauté juive de Dunkerque.

… et sous l’occupation allemande.

Comme pour beaucoup d’habitants de Dunkerque, la quasi totalité3 des familles juives de Dunkerque fuient la ville en 1940, voire au plus tard à la fin de 1941 pour Lille, Paris et le sud de la France. La famille Rosenfeld quitte la France pour les Etats-Unis et Seattle. Si certains ont la chance de fuir les persécutions ou de se cacher, d’autres ne peuvent échapper aux rafles, aux arrestations et à la déportation. Olga Brunner née à Dunkerque en 1890, Benoît Lévy4 commerçant, Samuel Ruk4, dentiste à Malo les Bains, René Schydlowski4, Fernand Stam5, né en mars 1903 et négociant à Dunkerque, Renée Urbain et Samuel Rosenbaum4 connaitront ce sort. Aucun ne reviendra des camps d’extermination. Au total, selon les recherches de Jean Marc Alcalay, 6 femmes, 5 hommes et 3 enfants, nés à Dunkerque ou/et y résidant en 1940 ont été déportés et exterminés par les nazis. Seule Jacqueline Rachi, fille d’Isaac et Sarah Rachi, déportée en janvier 1944 pour faits de résistance, survécut à l’enfer d’Auschwitz Birkenau.

(1) Le 5 août 1853, Félix Geismar, Léon Lazar, Jacob Isaac (sacrificateur) et Mr Silbertein adresse à la municipalité une lettres demandant l’agrandissement du cimetière juif qui jusqu’alors consistait en un étroit fossé.
(2) A la veille de la Seconde Guerre mondiale, Jonas Picard était le rabbin de Dunkerque. Il décède le 11 février 1939.
(3) Rachel Arrapel née Arensky dont la famille était originaire d’Odessa demeure à Dunkerque jusqu’à son décès le 24 novembre 1941.
(4) Déporté et assassiné à Auschwitz.
(5) Déporté et assassiné à Sobibor.

Repères bibliographiques.