Ignace Plichon (1814-1888)

Le saint-simonien
Ignace Plichon est né à Bailleul en 1814. Son père était un fabricant de savon. Après des études secondaires au collège des jésuites de Saint Acheul, il suivit des études à la faculté de droit de Paris. C’est dans cette ville qu’il se passionna pour les idées saint-simonistes, devenant un fidèle adepte du panthéisme enfantinien sans toutefois verser dans le mysticisme. Le père Enfantin l’appelait son « cher manchot » (Ignace Plichon avait en effet perdu un bras à la suite d’un accident de chasse.) Revenu à Bailleul à la fin de ses études, il convertit son frère aîné qui à son tour fit tous ses efforts pour répandre autour de lui la nouvelle religion, au scandale du clergé de Bailleul.

Ignace Plichon, devenu avocat, resta en contact avec Enfantin et rêva de partir dans les pays orientaux mettre en pratique les idées saint-simonistes. Mais n’ayant pas l’humeur aventureuse, il préféra solliciter une mission officielle, auprès de Guizot, devenu chef du gouvernement et qu’il avait bien connu lors de son séjour à Paris. Il fut envoyé à 27 ans à Tunis et à Tripoli pour fait l’état de la situation et y combattre l’influence ottomane. Il envoya au gouvernement français de nombreux rapports et mémoires dont certains préconisaient une politique d’extension coloniale.
Ignace Plichon visita également l’Égypte en 1844 à la demande d’Enfantin. Ce dernier, qui s’était rapproché des milieux d’affaires, demanda à Ignace Plichon de réunir sur place toute la documentation utile afin d’étudier la possibilité de percer le canal de Suez. Plichon profita de sa mission pour visiter l’Egypte, la Palestine et la Syrie. En 1845, il était à Constantinople.

L’homme politique

Ignace Plichon s’intéressait également à la politique et souhaitait devenir député. La partie n’était pas gagnée car pour beaucoup d’électeurs influencés par le clergé, le saint-simonisme était synonyme d’athéisme et de socialisme révolutionnaire. L’arrondissement D’Hazebrouck était représenté par le légitimiste Béhagel, maire de Bailleul. De son côté, Enfantin pensait toujours à son protégé et souhaitait l’associer à l’aventure du chemin de fer naissant. Si Ignace Plichon déclina l’offre, c’est sur le plan local que les projets concernant la construction des chemins de fer devaient être la source de la popularité de l’avocat de Bailleul. En 1846, les électeurs, qui étaient au nombre de 800, s’intéressaient plus au réseau ferroviaire et à son tracé qu’à la question dynastique. Ils voulaient que leur ville devienne le point d’intersection des grandes voies Paris-Calais et Lille-Dunkerque. Par ses amitiés saint-simonistes, Ignace Plichon avait à son avantage d’être bien introduit dans les sphères de décisions. Le conseil municipal de Bailleul chargea Plichon et le baron de Lagrange (l’ancien adversaire de Béhagel) de prendre en main leurs intérêts. Grâce à l’appui de Guizot qui voulait arracher le Nord à l’influence des légitimistes, Plichon obtint de bons résultats. Il devenait populaire et incontournable. Aux élections du 1er août 1846, il battit Béhagel par 400 voix contre 358.
La révolution de 1848 lui ôta son siège de député. Il conserva néanmoins à Bailleul une grande influence qui lui permit en juillet 1849 d’être élu conseiller général. En 1857, le baron de Lagrange décide de ne plus se présenter à la députation. Ignace Plichon posa sa candidature, refusant d’être le candidat officiel du gouvernement impérial et ne devant son élection qu’aux seuls électeurs. Plichon fut élu par 19077 voix sur 19178 suffrages exprimés. Son élection marquait aussi un changement d’attitude. Ignace Plichon avait en effet enterré son passé de saint-simoniste. Il se rapprochait également de l’Eglise catholique et de son clergé en se liant avec l’abbé Dehaene très influent dans la région. En 1861, il annonça son mariage avec la nièce du préfet de police Boitelle. Il était devenu un fervent catholique, défendant avec vigueur le pouvoir temporel du Pape.
Pour le gouvernement de Napoléon III, Ignace Plichon devenait l’opposant à combattre. Pour cela, il redécoupa les circonscriptions électorales pour détacher le député de ses électeurs. L’arrondissement d’Hazebrouck fut dont découpé en trois parties : les cantons de Cassel et d’Hazebrouck rattachés à la circonscription de Dunkerque, celui de Merville dans celle de Lille-sud et ceux de Steenvoorde et Bailleul dans celui de Lille-nord. Dans cette dernière circonscription se présentait Kolb Bernard, l’ami de Plichon. Ce dernier n’eut d’autres choix que de se présenter dans la circonscription de Dunkerque. La partie s’annonçait difficile. Clebsattel, le député sortant, élu depuis 10 ans, était bien implanté. Le préfet, les sous-préfets et la presse (Le Constitutionnel de Paris, Le Mémorial de Lille, L’Autorité de Dunkerque, L’Indicateur D’Hazebrouck) lui mènent la vie dure. Mais Plichon peut compter sur L’Echo du Nord, le clergé et sur les patrons ainsi que leurs ouvriers qui voient dans le candidat un fervent défenseur d’une politique protectionniste. Les propriétaires fonciers invitèrent leurs fermiers à voter pour Plichon. Fort de ces soutiens, Ignace Plichon l’emporta face à Clebsattel par 19336 voix contre 12337.
En 1869, il combat encore le candidat officiel mais l’administration semble résignée. Il est confortablement réélu.
Ignace Plichon a été un député très actif en défendant le développement de la Flandre et des ports. Il a manifesté son hostile à la guerre (en Crimée, en Italie, en Syrie et au Mexique) demandant la réduction du budget des armées. Il s’opposa à l’unité italienne et allemande. En politique intérieure, il s’intéressa beaucoup aux questions économiques, dénonçant le traité de libre échange entre la France et L’Angleterre (1860) dangereux pour l’industrie française pas assez préparée face à la concurrence anglaise. Sur le plan politique, il dénonça la candidature officielle qui bride le suffrage universel, s’attaqua au gouvernement autoritaire qui déplaçait fonctionnaires et juges de paix soupçonnés de ne pas être dans la ligne officielle. Ignace Plichon obtiendra satisfaction en 1870 avec le vote d’une nouvelle constitution instaurant un régime parlementaire. Dès lors, l’ancien Orléaniste put accepter de bon cœur de participer au gouvernement du Tiers Parti formé par Emile Ollivier comme ministre des travaux publics. Mais la guerre franco-allemande devait bientôt éclatée. Fidèle à ses convictions, il essaya de s’opposer à la déclaration de guerre. En vain.

La dynastie Plichon

Le rôle politique de Plichon ne prit fin avec la fin du Second Empire. Le député resta très influent dans la région du Nord. Il est réélu député en 1871 et conservera siège jusqu’à sa mort en septembre 1888. Il siègea au centre droit et ne cacha pas ses sentiments antirépublicains. Il ne vota pas l’amendement Wallon et les lois constitutionnelles de 1875. Il fut aussi président du conseil général du Nord à partir de 1874.
A côté de ses responsabilités politiques, Ignace Plichon était engagé dans les affaires industrielles. Grâce à son beau-père Alexis Boitelle, adminsitrateur de la Compagnie minière de Béthune, il était devenu lui aussi administrateur de cette compagnie. Il présida le conseil d’administration de 1873 à 1888, date à laquelle il cèdent sa place à son fils, Jean.
Jean Plichon, né en 1863, fit ses études chez les jésuites, puis à l ‘école centrale des arts et manufactures. Il succéda à son père au conseil général du Nord (1888-1919) et à l’assemblée nationales (1889-1936). Rallié à la forme républicaine du régime, ce conservateur devint un membre influent de L’Action Libérale (1901). Il s’opposa durement à l’Abbé Lemire en obtenant notamment du Pape son interdiction de candidature. Après la Grande Guerre pendant laquelle il fut promu lieutenant colonel et reçu la croix de guerre, il retourna à la vie politique et fut l’un des leaders de la droite catholique du Nord. Il fut également l’un des plus importants industriels de la région en siégeant dans de nombreux conseils d’administration (Forges de Denain, Crédit industriel et commercial, Compagnie éléctrique du Nord Ouest, Banque Scalbert, etc.)
En 1936, Jean Pierre Plichon, neveu de Jean, devient à son tour député de la 2e circonscription d’Hazebrouck. Inscrit au groupe des républicains indépendants et d’action social (Droite). Il interpella le gouvernement en janvier 1940, inquiet du soutien apporté par l’Allemagne nazie aux mouvements flamingants et demandant l’achèvement des travaux des fortifications du Nord. Le 10 juin 1940, il vota les pouvoirs constituants au maréchal Pétain. De 1941 à 1944, il fut adjoint au maire de Bailleul. Après guerre, il devint ingénieur au ministère de la reconstruction et l’urbanisme (1945-1955) avant de tenter un retour, en vain, en politique sous l’étiquette de la Démocratie chrétienne (1958).

 

Bibliographie