L’abbé Gantois par Eric Vanneufville

Eric Vanneufville vient de publier en ce début d’année 2020, un bref texte de 80 pages sur l’abbé Jean-Marie Gantois. Le lecteur ne doit pas s’attendre à des révélations ou à une réelle synthèse historique basée sur les connaissances acquises sur Gantois depuis plus de 50 ans. Il s’agit – écrit l’auteur – d’un « ouvrage d’un septuagénaire (…) qui n’écrit tardivement sur Gantois qu’au seul titre de l’exigeante nécessité de faire clairement connaître d’une façon réaliste, qui ne soit ni nostalgique, ni traumatisante, mais simplement pluraliste » (p. 82).

D’où un certain nombre de partis-pris comme celui de refuser de polémiquer, de juger, de refaire le procès, et de privilégier l’étude de l’homme, de ses idées et de son action au prisme des documents de l’époque (écrits, lettres, discours).

Ce choix honorable se heurte malheureusement à de nombreux écueils.

Ne pas prendre position
Le premier est celui du refus de prendre clairement position. L’utilisation de titres interrogatifs introduisant les différentes parties de l’étude (Mythe ou histoire ? p. 30, Gantois raciste ? p. 44, Ni à droite. Ni à gauche ? p. 46, Gantois Kollabo ? p. 56) en est l’illustration marquante.

Notons que cette absence de prise de position est toutefois relative.
A la question : Gantois était-il raciste ? Eric Vanneufville répond : « Nul ne serait l’affirmer (…) mais il est vrai que les propos à connotation raciste (…) peuvent fournir matière à examen, à charge (…). Écrivant sous un pseudonyme [A. Decleene], Gantois ne pouvait être considéré en place publique comme un prosélyte des thèses racistes. » Ouf, l’honneur de l’individu est sauf !
Le salut nazi effectué régulièrement par l’abbé Gantois : « quelques imprudences gestuelles » (p. 60). Le mot « errement » ou « perdu » est régulièrement choisi par Éric Vanneufville pour définir le comportement de Gantois. On le croirait presque victime de son époque !
Quant à la lettre envoyée par Gantois à Hitler, « cette lettre aussi fameuse que d’authenticité contestée » (p. 58), Eric Vanneufville préfère botter en touche et citer le point de vue – pourtant incontestable – d’Eric Defoort comme un simple élément de discussion.

Citer ses sources
On peut également regretter, de la part d’un auteur souhaitant s’appuyer son étude sur les sources écrites, l’absence de références bibliographiques précises en bas de page. Les citations des auteurs cités (Gantois sous ses différents pseudonymes, Lestoquoy, Dehaisnes, Verschaeve, Claerbout, Caquant, etc.) ne sont pas non plus sourcées ni datées.
Le lecteur regrettera également l’absence d’une bibliographie complète sur l’abbé Gantois et le Vlaamsch Verbond van Frankrijk qui lui aurait permis d’approfondir certains points et de prendre connaissance des travaux récents sur le sujet, notamment ceux de C.P. Ghillebaert.

Dans le fond
On retiendra néanmoins de cet essai, une analyse de la pensée de Gantois qui était basée sur l’appartenance d’une Flandre idéalisée à une germanité fantasmée , de la haine assumée de la France et du Sud, et d’un racisme, présent dès les années 20, fondé sur l’exaltation d’une race nordique. Cette radicalité – exprimée sous différents pseudonymes par l’abbé Gantois – s’accompagnait d’actions culturelles, de défense de la langue flamande et de la foi catholique, destinées à un plus large public.

On aurait aimé à la lecture de cet essai en savoir un peu plus sur la construction intellectuelle et idéologique de l’abbé Gantois, notamment sa formation au collège d’Hazebrouck et au séminaire de Lille, sur l’influence réelle ou non, sur cette construction intellectuelle, des mouvements régionalistes (France et Belgique) et nationalistes en plein expansion après 1920. Les relations de Gantois avec le Comité flamand de France auraient mérité quelques lignes. Celles avec les municipalités lors des congrès flamands, également. Quant à l’étude du procès de 1946, elle est trop brève et incomplète lorsqu’on connaît les travaux d’E. Dejonghe sur ce sujet.
On notera toutefois une analyse intéressante sur la perception du VVF par le mouvement et journal La Voix du Nord qui aurait mérité d’être développée.

En conclusion
La lecture du dernier livre d’Eric Vanneufville nous laisse un goût d’inachevé. Prisonnier de ses choix méthodologiques et peut-être idéologiques, il n’a su, malgré de louables intentions, faire connaitre au grand public la place réelle qu’occupe l’abbé Gantois dans l’histoire de la Flandre française.

Dans l’attente de la publication de la thèse de C.P. Ghillebaert, nous publions en complément de ce compte-rendu du livre d’Eric Vanneufville, une bibliographie commentée pour vous aider à approfondir vos connaissances sur ce sujet.

Lire également : Jean-Marie Gantois dans un rôle de victime par Michiel Nuyttens, Les Pays-Bas français

 

Une bibliographie sur l’abbé Gantois et le Vlaamsch Verbond van Frankrijk
Les travaux d’Étienne Dejonghe :
Spécialiste de la période de l’Occupation dans le Nord, Étienne Dejonghe a été le premier historien à s’intéresser aux agissements de l’abbé Gantois. L’article publié dans la revue d’histoire moderne et contemporaine en 1970 fait toujours autorité. Son étude du procès de 1946 est très détaillée et est complétée d’une chronologie et d’un état des sources disponibles sur l’abbé Gantois (archives, travaux universitaires).

Les travaux d’Eric Defoort :
Eric Defoort a été pendant de nombreuses années le bibliothécaire de l’Université de Courtrai dépositaire des archives de l’abbé Gantois à sa mort. Il a pu ainsi puisser dans ces sources de premier ordre (écrits et correspondances) pour mener à bien ses recherches. Son article publié dans la Revue du Nord est une démonstration magistrale de la véracité de la lettre de Gantois à Hitler.

Les travaux de C.P. Ghillebaert :
Alors que Dejonghe et Defoort ont plutôt étudié le rôle et les actes de Gantois, Christian-Pierre Ghillebaert s’intéresse à la personnalité et aux idées politiques et racistes de l’abbé. On attend avec impatience une édition remaniée de sa thèse.

Biographie de Gantois :
De nombreux éléments biographiques sont connus par les travaux de trois historiens cités précédemment. Michiel Nuyttens en donne en deux pages une excellente synthèse.

Gantois et le mouvement flamand :
Jean-Marie Gantois a occupé une place importante dans l’histoire du mouvement flamand au cours du 20e siècle. Les études de Baycroft et de Mihail permettent de replacer le personnage et ses idées dans le contexte des courants régionalistes et nationalistes apparus après 1920. Les écrits de Marc Castre et d’Olivier Engelaere nous éclairent sur l’histoire du mouvement flamand après 1945, période durant laquelle plane encore la présence de Gantois.

Les relations entre Gantois et le Comité flamand de France :