Les étapes d’un touriste en Flandre maritime à la fin du XIXe siècle
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, le développement des transports et notamment du chemin de fer a permis l’essor du tourisme en France et en Europe. De nombreux ouvrages destinés aux voyageurs, dont les plus connus sont les guides Baedeker et Joanne (ancêtre des Guides Bleus), ont été édités.
Le texte publié aujourd’hui est extrait d’un guide à l’usage des « touristes » écrit par Alexis Martin en 1898. Malgré quelques erreurs historiques et énièmes clichés sur la Flandre et les Flamands, on redécouvre, en suivant le tracé des chemins de fer, le visage des villes et bourgs de la Flandre maritime de la fin du XIXe.
Dans son message destiné à ses lecteurs voyageurs, l’auteur les oriente avant tout sur les monuments remarquables et les richesses des musée de la région. Il nous éclaire aussi sur le développement du tourisme balnéaire en vantant au passage la qualité des plages du littoral (« ce sable si doux »). Et si une grande partie du texte est consacrée à Dunkerque et à son port en pleine effervescence, les passages sur Gravelines et Bergues, paisibles bourgs, ne sont pas inutiles aux voyageurs et aux lecteurs.
Nous vous souhaitons une agréable lecture.

Gravelines
Le voyageur qui vient de visiter Calais et veut se diriger vers Dunkerque prend généralement le chemin de fer qui relie ces deux villes, et franchit en une heure vingt minutes la distance qui les sépare.
Nous, touriste, tout en employant le même moyen de locomotion, nous ne ferons pas la course d’une traite, et nous nous arrêterons en chemin dès que nous pourrons le faire utilement. L’occasion ne tarde pas à se présenter. Le train, après avoir stoppé à Fontinettes, à Beau-Murais, à Marck, à Offekerque, à Pont-d’Oye, s’arrête en gare de Gravelines et nous le quittons.
Aujourd’hui chef-lieu de canton, station balnéaire, comptant environ 6000 âmes, Gravelines était autrefois la ville des smugglers (smogleurs) ; mot qui vient de l’anglais to smuggle (faire la contrebande) et désigne la profession à peu près exclusivement exercée par les anciens habitants du lieu .
Il n’est plus question de contrebande dans la Gravelines moderne. Cette douteuse industrie est remplacée par le travail aussi pénible, mais plus honorable, de la pêche à la morue d’Islande et du hareng. Plus de cent bateaux entrent dans son port ou le quittent à chaque marée ; les poissons qu’ils rapportent sont tous les jours vendus à la criée. Cette vente est un spectacle pittoresque et mouvementé dont nous recommandons la vue aux amateurs d’études de mœurs. L’animation qui en résulte s’augmente de celle que produisent des chantiers de construction de bateaux, des fabriques de voiles, une raffinerie de sel, un commerce important de bois du Nord avec la Baltique, un autre non moins actif d’œufs et de pommes avec l’Angleterre.
Agréablement située à l’entrée de la Manche, en regard de l’estuaire de la Tamise, près de l’embouchure de l’Aa, rivière très poissonneuse, la ville, place de guerre de seconde classe, entourée de remparts, accessible par des ponts levis, est assez exiguë, mais bien bâtie ; elle étend sur le détroit du Pas-de-Calais son port éclairé par un phare et sa digue insubmersible, longue de 1800 mètres. Elle abrite à peu près un tiers de la population ; les autres tiers se répartissent entre le lieu dit les Huttes, assemblage de constructions basses habitées par des marins, et le bourg de Petit-Fort-Philippe, où la station balnéaire est installée.
Disons maintenant quelques mots d’histoire.
Gravelines est d’origine relativement moderne et fut fondée en 1160 par Thierry, seizième comte de Flandre, dont le fils Philippe Ier fit creuser un canal entre la mer et la ville et compléta les fortifications de cette dernière. La prospérité de la nouvelle cité ne tarda pas à éveiller la jalousie des Anglais et, dès l’année 1383, ils vinrent l’assaillir et la détruisirent à peu près complètement. Elle répara assez promptement son désastre et, dans les premières années du quinzième siècle, elle entra dans le domaine du duc de Bourgogne. Plus tard, en 1526, étant alors au pouvoir des Espagnols, Charles-Quint y fit construire un château fort, qui fut démoli pendant les guerres dont la province fut le théâtre au seizième siècle.
Le plus mémorable des faits d’armes de ce temps est la bataille qui fut livrée, en 1558, dans les environs de Gravelines et qui a gardé son nom. On sait qu’en cette journée le comte d’Egmont et les Espagnols défirent l’armée française, commandée par le maréchal de Thermes, et que leur victoire fut le prologue du traité de Cateau-Cambrésis .
Pendant la minorité de Louis XIV, en 1644, Gaston d’Orléans réussit à reprendre Gravelines ; mais, huit ans après , l’archiduc Léopold s’en rendit maître de nouveau ; enfin, en 1658, le maréchal de la Ferté s’en empara ; le traité des Pyrénées, signé l’année suivante, en assura la possession définitive à la France.
Sous Louis XIV , Vauban et le chevalier de Ville ajoutèrent de nouveaux ouvrages aux fortifications et perfectionnèrent le système de défense . Inaccessible du côté de la mer, la place est avoisinée par des marais fertiles qui, en cas d’attaque, peuvent disparaître sous une inondation instantanée.
Gravelines porte : d’or à un lion de sable, lampassé de gueules, à la bordure endentée aussi de gueules, et entourée d’une chaîne d’or chargée de quatre serrures ou cadenas plats, en forme d’écussons d’argent, percés de sable et posés à chacun des quatre coins.
La visite de la ville est rapidement faite, car ce qu’on y rencontre est plus à signaler qu’à voir. Elle a ses couvents de dames ursulines et de sœurs de l’Enfant-Jésus, son hôpital militaire, de belles casernes, des poudrières à l’épreuve de la bombe, une bourse du commerce, toutes choses, vous le comprenez, qui sont appréciées d’un coup d’œil.
L’église paroissiale est placée sous le patronage de saint Willibrod, qui, vers l’an 700, prêcha avec succès le christianisme dans la contrée ; construite en 1598, au temps de la domination espagnole, elle a trois nefs et est ornée d’un buffet d’orgues et de confessionnaux sculptés ; on y voit le fort beau mausolée de Claude Berbier du Mets, récemment classé parmi les monuments historiques.
Arrêtons – nous un instant devant ce tombeau . C’est une œuvre de Girardon où l’on retrouve toute la science de composition qui distingue le grand artiste. Un groupe de gracieux anges éplorés, dont l’un, complètement affaissé, tient une torche éteinte, supporte le médaillon ovale de Berbier, dont le casque décore la partie haute du monument ; les enfants sont ravissants de modelé ; la tête du défunt est très belle et très expressive. Non loin de ce chef-d’œuvre, une plaque de marbre relate succinctement tous les hauts faits de Berbier du Mets.
Vous ne séjournerez pas ici sans entendre parler des dunes domaniales de Gravelines. Ces sables arides couvrent environ 30 hectares sur le rivage de la mer du Nord . On a fait là de vains efforts pour développer la végétation ; aunes et peupliers ont été plantés, il ne reste des uns et des autres que quelques cépées dans les bas fonds humides. L’argousier s’y acclimate assez bien, mais il dépérit vers sa septième ou huitième année.
La plage est située, nous l’avons dit, à Petit-Fort-Philippe et, l’été, reliée à la ville par un service d’omnibus ; elle est vaste et belle sur son sable doux au pied, quand le temps est sec, les cabines, les tentes, les abris, les parasols rivalisent de couleurs gaies . Les enfants s’ébattent sans courir aucun danger ; bateaux et canots de plaisance sont à la disposition des amateurs de promenades en mer ; celle-ci, faisons-le observer, se retire fort loin, ne baigne que rarement le pied des dunes sur lesquelles sont placés les chalets et c’est de l’extrémité d’une longue digue seulement que l’on jouit de la vue du large. Les chasseurs peuvent faire le coup de fusil sur les oiseaux de passage ; quant aux pacifiques pêcheurs en eau douce, il leur est loisible de jeter la ligne dans l’Oye, le Schel Vliet ou l’Aa.
Le pays, habité par des pêcheurs à leur aise, est percé de rues droites, bordées de maisons coiffées de toits rouges, ornées de volets de couleurs diverses, mais toujours joyeuses ; derrière toutes les fenêtres, entre les vitres et les rideaux, on aperçoit, invariablement, une rangée de pots de fleurs.

A l’est du pays, nous voyons, toute neuve encore, l’église du Perpétuel-Secours, fondée par maître Jacques Masselis, chanoine honoraire, aumônier des ursulines de Gravelines ; cette église a été inaugurée le 28 juin 1887. Construite en briques grises, elle est intérieurement de belles proportions, très blanche, un peu nue, décorée de statues sans valeur artistique et de quatre verrières dont les sujets rappellent des faits locaux, entre autres le débarquement de saint-Thomas de Cantorbéry sur la côte en 1164.
Vis à-vis de ce bourg, on voit Grand-Fort-Philippe, dominé par la grande tour carrée de son église. Cette commune, indépendante de Gravelines, est peuplée de marins se livrant pour la plupart à la pêche sur les côtes d’Islande et d’ouvriers employés dans de vastes chantiers de construction. Le mouvement du port est considérable ; il y entre et sort à chaque marée plus d’une centaine de bateaux et goélettes.
Petit Fort-Philippe est très fréquenté par les familles bourgeoises du département. On loge là dans des hôtels confortables, dans les chalets et les villas de la dune d’où l’on domine constamment le spectacle mouvementé de la plage ; enfin, quelquefois chez les pêcheurs, dont les maisons sont d’une irréprochable propreté.
On le voit, la station est de celles que doivent aimer les personnes qui vont à la mer pour elle-même et non pour les concerts, les bals et les jeux , que prodiguent ailleurs les luxueux casinos. Du reste, si ces distractions manquent à quelques baigneurs de Petit-Fort-Philippe, ils peuvent en dix-huit minutes, par le chemin de fer, se rendre à Loon-Plage , une station créée en 1895, où ils trouveront des divertissements mondains et où nous allons les suivre.
Loon -Plage, Mardyck
C’est, nous l’avons dit, une station balnéaire toute jeune, mais dont l’avenir nous paraît assuré. Elle tient en quelque sorte le milieu entre les grandes villes d’eaux où l’existence est aussi active et les divertissements aussi nombreux, aussi variés qu’à Paris, et les ports où on loge chez l’habitant, où l’on vit tranquille devant le grand spectacle de la mer. Ici, il y a de tout un peu, les méditatifs peuvent rêver à leur aise, et les gens simples vivent modestement ; quant aux personnes que le plaisir attire, elles trouvent chaque jour au casino plus d’une occasion de se distraire sans fatigue.
La plage, comme à Petit-Fort-Philippe, comme à Dunkerque, est de ce sable si doux, si fin, qu’il semble fait pour être foulé par des pieds nus, si friable qu’on s’étonne que la mer ne l’entraîne pas en se retirant ou que le vent du large ne l’emporte pas au loin en nuées dorées.
Le séjour est ici particulièrement agréable ; les baigneurs, bourgeois des villes du Nord et de Paris aussi, sont généralement des gens de mœurs douces et de relations agréables, puis, vous avez pu vous en rendre compte par ce qui précède, Loon-Plage peut, pour ses baigneurs, devenir le point de départ de promenades charmantes .
Il en est une fort courte qu’il est impossible de ne pas faire quand on séjourne dans le pays et que nous n’hésitons pas à entreprendre, bien que nous ne fassions qu’y passer.
Dirigeons-nous donc vers l’ouest, marchons sans nous presser, et dans une demi-heure nous arriverons à Mardyck.
C’est aujourd’hui un bourg qui n’a pas 500 habitants ; ce fut originairement une station romaine à laquelle conduisait une voie militaire et qui était le port le plus large et le plus profond de la côte. Prise, pillée, brûlée par les Normands en 943, elle eut, en 1383, le sort de Gravelines et de Dunkerque, elle fut complètement saccagée ; les habitants, qui avaient trempé dans la rébellion de la province contre Louis de Mâle, firent, en 1384, leur soumission au duc de Bourgogne Philippe le Hardi ; à partir de ce moment, et pendant plus d’un siècle et demi, l’histoire est muette sur la cité. C’est par un nouveau désastre qu’elle rentre en scène. En 1558, quelques jours avant la bataille de Gravelines, elle fut dévastée par les Espagnols et, peu après, tomba en leur pouvoir.
Reprise par les Français, reconquise par l’Espagne à la suite d’une trahison, Mardyck se rendit à Gaston d’Orléans, en 1644, après avoir subi un siège long et meurtrier ; huit ans plus tard, pendant les troubles de la Fronde, les Espagnols s’en emparèrent de nouveau. Ils y restèrent trois années et en furent définitivement chassés par Turenne, en 1657. Le traité des Pyrénées confirma la conquête de l’illustre maréchal.
En ce temps, l’antique port n’était plus qu’un souvenir. Quand Louis XIV fut, en 1713, forcé de combler celui de Dunkerque, il songea à le ressusciter ; de grands travaux furent entrepris, un canal fut creusé, mais, en présence des réclamations de l’Angleterre et de la Hollande, il fallut abandonner ce projet. C’est à 4 kilomètres à l’est de Mardyck, à Fort-Mardyck, que se serait ouvert le chenal du nouveau port. Nous ne visiterons pas Fort-Mardyck où rien de curieux ne saurait nous retenir, mais nous ne saurions nous dispenser de rappeler à son propos une particularité assez originale. Louis XIV avait rêvé de fonder en ce lieu une colonie de marins . Dès 1670, quatre familles picardes formant un total de trente personnes vinrent s’y fixer ; sept ans plus tard, vingt-six autres familles rejoignirent les premiers occupants. Pendant longtemps les descendants de ces familles, exclusivement pêcheurs, peuplèrent la localité et les biens qu’ils y possédaient n’étaient ni cédés ni vendus. Aucun étranger ne pouvait ici devenir propriétaire. Fort-Mardyck, érigé en commune en 1868, compte aujourd’hui 1500 habitants.
On visite, à Mardyck, une très ancienne église de style ogival flanquée d’une tour carrée que surmonte une flèche ; cette église a été en partie reconstruite vers la fin du seizième siècle, mais son caractère primitif n’a pas été sensiblement altéré. On s’arrête, à l’intérieur, devant la chapelle dédiée à sainte Anne, où l’on voit un plafond orné de curieuses peintures en bon état de conservation, et deux statues en bois sculptées au temps de Henri II, dont la plus remarquable représente un amiral.
Grâce à cette promenade , nous voici à proximité de la gare de Petite-Synthe, à dix minutes de Dunkerque, où nous rentrons en laissant à l’ouest Saint-Pol, commune industrieuse qui n’est en quelque sorte qu’un faubourg de la ville.
Dunkerque. De la gare à la place de la République.
Une vaste place où verdoient à gauche et à droite des gazons ras, tachés de blancheurs par le linge que les ménagères y étalent au soleil, sert, en quelque sorte, de vestibule à Dunkerque. Quand on sort de la gare, une rue, la rue Thiers, plonge devant nous dans la ville. A droite, au premier plan, nous voyons les bâtiments rouges et fumants d’une grande fabrique ; un peu plus loin apparaissent la face latérale et les deux tours pyramidales de l’église Saint-Martin ; à gauche, se dresse la grande maison blanche où s’abrite la gendarmerie ; plus loin, au delà des constructions qui bordent le quai, la tour du beffroi profile sa silhouette sur le ciel.
A nos pieds, traversé par des ponts, nous passons sur l’un d’eux est le canal de Bergues, qui vient ici rejoindre l’arrière-port hérissé de hauts mâts, rayé de longues vergues, empanaché de voilures blanches qui se gonflent et se balancent sous les caresses du vent, et de pavillons aux couleurs diverses agités par un même frémissement.
Allons devant nous, suivons la rue Thiers ; à son extrémité, nous trouvons la façade postérieure du Palais de justice ; nous ne faisons pas, pour l’instant, le tour du monument et, nous dirigeant vers la droite, nous traversons un pont jeté sur le canal de jonction qui réunit entre eux les canaux de Furnes et de Mardyck ; nous arrivons auprès du chevet de l’église Saint-Martin.
Construit en 1867 par l’architecte Lecoq, cet édifice, dont nous gagnons promptement l’entrée, est conçu dans le style roman ; extérieurement, il est bâti en briques et couvert d’ardoises. La façade, ornée d’une rose et d’une galerie soulignant le comble, est flanquée de tours carrées terminées par les flèches que nous avons aperçues tout à l’heure et dont les bases sont accostées de pyramidions.
La pierre reparaît dans l’intérieur affectant la forme cruciale ; la grande nef est partagée en cinq travées séparées des collatéraux par des colonnes aux chapiteaux sculptés ; au-dessus des arcs qui retombent sur ces colonnes règne un triforium, praticable dans la nef, simulé dans le transept et qui se retrouve, formant galerie, dans le chœur. Celui-ci, en forme d’hémicycle, occupe le fond de l’édifice ; sa coupole est décorée d’un Saint Martin coupant son manteau, peint par De Coninck.
Laissant à notre droite l’hôtel de la Douane que nous signale un gigantesque drapeau, nous revenons sur nos pas, nous traversons le quai au Bois ; nous apercevons à gauche, à l’angle de la rue Dampierre, le bâtiment en briques du temple protestant ; nous rentrons dans la rue Thiers ; là se développe la principale façade du Palais de justice.
Deux jardinets flanquent le perron qui donne accès à la modeste porte d’entrée ; au-dessus d’elle s’ouvre une grande croisée accostée de deux étages de colonnes et couronnée d’un fronton dont un haut relief, représentant la Loi, occupe le centre. Une salle des Pas perdus, vaste et nue, donne accès à l’escalier à double évolution qui conduit aux salles d’audience. Celles-ci sont de belles proportions, mais sans luxe et sans décor.
Jetons-nous à gauche maintenant, traversons la place de la République, un triangle dont une fontaine marque le point central, jetons un rapide coup d’œil sur la place du Marché-au-Blé que bordent les établissements de la marine et où quelques vieilles voitures, coucous de 1830, laissent tomber leurs brancards désolés en attendant attelages ou clients et entrons dans la rue Alexandre III (autrefois rue des Capucins). C’est une de celles de la ville où le commerce est le plus actif, les magasins les plus vastes, les étalages les plus coquets ; elle nous conduit à la place Jean- Bart, un vaste rectangle au milieu duquel se dresse la statue en bronze du célèbre marin, œuvre de David d’Angers, exécutée en 1844 et inaugurée l’année suivante. Debout sur un haut piédestal, chaussé de grandes bottes, un pied posé sur un agrès de navire, une coulevrine près de lui, le célèbre Dunkerquois est coiffé d’un grand chapeau à plume ; sa tête, que de longs cheveux encadrent , est tournée vers la droite ; d’une main, il agite son épée comme s’il commandait un abordage ; de l’autre, il tient un pistolet semblable à celui qu’on voit à sa large ceinture. Très décorative, fière d’allure, énergique d’expression, cette belle œuvre est également digne du héros qu’elle représente et du grand artiste qui l’a signée.

Au nord de la place s’élève l’hôtel de la Banque de France ; de l’autre côté, haute et fière, au-dessus des maisons , apparaît la tour du beffroi.
Église Saint-Éloi, beffroi.
Cette tour, le seul édifice de la ville qui soit classé parmi les monuments historiques, appartenait jadis à l’église Saint-Éloi, dont vous voyez le portail vis-à-vis d’elle ; elle en a été séparée au dix-huitième siècle lorsqu’on perça la rue de l’Église, percement qui enleva à l’édifice religieux les trois premières travées de sa nef.
Causons un moment de l’église, visitons-la ; nous reviendrons à la tour ensuite. L’église Saint-Éloi a été originairement construite vers l’an 1440 ; le feu la consuma lors du siège de 1588, mais elle fut immédiatement réédifiée sur son plan primitif et sans importantes modifications ; brûlée encore dans le courant de l’année 1667, elle se releva de nouveau et ses reconstructeurs respectèrent son style architectural. En 1784, après l’ouverture de la rue de l’Église, Louis, architecte du duc d’Orléans, pansa la blessure qu’elle venait de recevoir par la construction d’un péristyle romano-grec à colonnes corinthiennes et à fronton triangulaire, dont vous verrez encore des reproductions photographiques chez tous les papetiers et qui disparut en 1889 pour faire place au portail, conçu dans le goût ogival du quinzième siècle, qui s’ouvre devant nous.

Au dedans, l’église se divise en cinq nefs correspondant entre elles par des arcades dont les ogives retombent sur des faisceaux de colonnes ; ces arcades montent hardiment jusqu’à la voûte et s’y réunissent en élégants pendentifs. Les collatéraux contournent le chœur et les derniers se divisent au chevet de l’édifice en une suite de chapelles éclairées par des vitraux modernes dont les couleurs multiples forment, dans ce fond, une sorte de foyer lumineux, éclatant ou mystérieux, selon les heures, mais toujours d’un très saisissant effet.
Outre de belles stalles aux miséricordes curieusement sculptées, remontant à l’époque de la renaissance ; outre une chaire du dix-huitième siècle, l’église renferme quelques tableaux qui méritent d’être vus, tels un Gerard Seghers représentant l’Enfant Jésus sur les genoux de sa mère, un Mariage de la Vierge, copie d’un Rubens que nous verrons au musée, exécutée par Jean de Reyn, élève de Van Dyck, œuvre qui a la saveur d’un original ; une Descente de croix, par Mathieu Elias ; d’autres encore. Enfin, l’église conserve les pierres tumulaires de Jean Bart, de sa femme, Marie-Jacqueline Tugghe, de son fils et du vice-amiral François Cornil Bart.
La tour de Saint-Eloi ou du Beffroi est, nous l’avons dit, de proportions imposantes ; c’est à environ 60 mètres du sol que se découpent, dans ses façades, les fenêtres ogivales et garnies d’abat-son de l’étage supérieur. C’est à cette hauteur que l’édifice se couronne de fleurons ouvragés et de fines tourelles d’angle reliées entre elles par une balustrade ajourée ; le sommet forme une terrasse dont un pavillon portant un mât occupe le centre. Entièrement construite en briques, cette tour remonte vraisemblablement au quinzième siècle et doit être le seul reste de l’église primitive ; sa masse, à la fois élégante et majestueuse, s’appuie sur quatre contreforts à redans qui viennent mourir au pied de la terrasse ; au cinquième étage sont installés l’horloge et les vingt-neuf cloches formant le fameux carillon universellement connu depuis trois siècles.
Les touristes ont le temps de le remarquer, mais il n’est point inutile de le dire à nos lecteurs, nous visitons une ville propre, percée de rues larges se coupant à angle droit, bien pavées et bordées de trottoirs en grès céramiques. Quant aux maisons, toutes bâties sur des caves magnifiques, elles ont rarement plus de trois étages, mais leur agencement est confortable et les logis les plus modestes paraissent luxueux grâce aux soins d’entretien et de propreté dont ils sont l’objet.
Cela dit, remontons vers l’est, prenons la rue des Chaudronniers, puis la rue Jean-Bart qui lui fait suite et, au point de rencontre des rues Royer et des Vieux-Remparts, nous nous arrêterons un instant au théâtre.
Théâtre, bibliothèque, musée.
Construit en 1849, le théâtre est un des beaux édifices que possède la province ; bien que sobrement orné, il demeure d’aspect assez monumental. Son péristyle forme avant-corps et porche pouvant abriter les voitures . La scène est belle ; la salle, décorée avec goût, a quatre étages et peut contenir 1600 personnes.
A quelques pas du théâtre, agrémenté d’un joli jardin ouvert au public, nous rencontrons les bâtiments où l’on a réuni la bibliothèque et le musée communal. La bibliothèque, bien aménagée, contient environ 30 000 volumes et plus de 60 manuscrits curieux.
Le musée est relativement jeune ; la première pensée de sa création ne remonte pas au delà de l’année 1829, encore les tentatives qu’on fit pour l’établir n’obtinrent-elles pas le succès désiré. Il en fut de même quand on renouvela les démarches en 1835, mais, trois ans plus tard, Paul Lemaire, alors à la tête de la municipalité dunkerquoise, réussit enfin à réunir une commission d’hommes actifs et amis des arts qui mena l’entreprise à bonne fin. A sa tête et comme président était Benjamin Morel, deux fois député de la ville, mort en 1860.
On fit sortir des combles de la sous-préfecture et de l’hôtel de ville une soixantaine de tableaux et quelques marbres ; on fit divers achats ; on sollicita et l’on obtint des dons ; le tout forma le noyau du musée, qui fut inauguré le 27 juin 1841. Il était alors installé dans trois salles de l’ancien Palais de justice, qui sont maintenant annexées au collège. Edmond de Forcade, qui en fut le premier conservateur et exerça cette fonction pendant quarante années, vit les collections s’augmenter dans de grandes proportions. En 1874, les salles de l’ancien Palais de justice étaient devenues insuffisantes. La ville acquit une propriété qui avait appartenu à Benjamin Morel, après avoir été jadis le couvent des dames anglaises. On plaça la bibliothèque à l’étage ; on augmenta le rez-de-chaussée d’une galerie, que construisirent les architectes Develle et Lecoq, et le musée où nous allons entrer fut ouvert en 1877. Ses richesses se sont augmentées depuis d’un bon nombre de tableaux et de toute la collection d’un Dunkerquois mort en 1887, M. Coffyn.
Les œuvres réunies ici sont particulièrement curieuses pour les personnes que l’histoire de Dunkerque intéresse. On y voit, et souvent exécutées par des artistes nés dans la ville, une suite de vues du pays à diverses époques et de tableaux rappelant les principaux événements dont il a été le théâtre.
Parmi les toiles dues à des Dunkerquois, il en est plusieurs de Charles Carlier, qui, né à la fin du dix-septième siècle, put voir Dunkerque en 1710, telle qu’il l’a représentée, et être témoin de la Rupture du batardeau en 1720 .
Une Vue du bassin de la marine en 1709 a pu aussi être prise sur nature par Mathieu Elias, à qui l’on doit encore, entre autres œuvres, le Portrait de l’échevin Gabriel Duval, qui exerçait ses fonctions en 1700. Non moins authentiques, sans doute, sont les portraits des amiraux Colaert et Rombout, tous deux enfants de Dunkerque et peints par Jean de Reyn. C’est encore d’après nature, assurément, que fut exécuté, par un artiste inconnu, le portrait de Pierre Faulconnier, grand bailli de la ville, auteur d’une Description historique de Dunkerque, parue à Bruges en 1730.
Mais les organisateurs du musée, tout en prenant soin d’y réunir ces œuvres documentaires, ont su les entourer de tableaux appartenant aux diverses écoles et dont un grand nombre sont fort remarquables.
Parmi ceux qui captivent le plus l’attention des visiteurs, nous citerons un triptyque de François Porbus, représentant le Martyre de saint Georges, œuvre datée de 1577 et que la confrérie de Saint-Georges acheta à l’auteur. A côté de ce talent sévère, voici David Téniers le jeune, avec des Villageois, un Pèlerin, une Mandoliniste, etc. ; Brauwer, avec ses Buveurs aux faces violemment enluminées ; Van Ostade, avec un Intérieur séduisant en sa rusticité. Cette Cascade d’un si puissant effet est signée Ruysdael. Holbein a peint ce magistral Portrait qu’on suppose être celui de Luther ou de son ami Mélanchton. De Breughel est cette Noce de village ; de Cuyp, ces Animaux. D’autres œuvres sont signées Van Dyck, Van Goyen, Van den Hoeck, Ryckert, Jordaens, Paul Potter, Gonzalès Coques, Van der Meulen, Corneille de Vos, Janssens et enfin Rubens. De ce grand maître on voit ici une curieuse esquisse sur bois du Saint François agenouillé que possède le musée de Gand ; un Mariage de la Vierge, dont Jean de Reyn a fait une copie pour l’église Saint-Éloi ; une Réconciliation de Jacob et d’Ésaü, etc.
Le musée est, on devait s’y attendre, riche en toiles flamandes et hollandaises ; mais les autres écoles y sont brillamment représentées aussi. Le Titien, Guardi, Il Giorgione, l’Albane, Césari, Annibal Carrache, Salvator Rosa, chantent la gloire des Vénitiens, des Boulonnais et des Napolitains. Une Vierge de Murillo, un Saint-Pierre de Ribéra, une Tête de jeune homme de Vélasquez, attestent celle de l’art espagnol. Nos peintres français des dix-septième et dix-huitième siècles et ceux aussi de notre temps concourent à la richesse de l’ensemble ; Mignard est représenté par un fort beau Portrait du duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XIV ; Rigaud, par celui de Claude Leblanc, intendant de Dunkerque en 1707 ; Jouvenet, par deux Portraits ; Sébastien Le Clerc, par l’Enlèvement d’Europe. Citons encore une toile de Boucher : Vénus et Vulcain ; une Vue de l’Adriatique, de Hubert Robert ; un Portrait de Carle Van Loo peint par lui-même ; un Portrait de femme, de Mme Vigée-Lebrun, qu’on prendrait volontiers pour un Greuze ; une Scène de l’inquisition, de Granet ; un Paysage de Corot et, du même artiste, une savoureuse esquisse des Tours de Dunkerque en 1855. Ajoutons à cette liste déjà longue une grande œuvre de Dehodencq, le Mariage d’une juive au Maroc ; les Derniers Moments de Charles X, de Detouche ; Louis XIV visitant le champ de bataille des Dunes, de Tattegrain, tableau que nous nous rappelons avoir vu au Salon de 1889 et qui ne pouvait être mieux placé qu’ici ; enfin, des toiles de Detaille, de Mme Demont-Breton, de Lansyer, de Lapostolet , de Dardoise , de Pelouze , de Carrier-Belleuse et de plusieurs artistes nés à Dunkerque : Conseil , Damman, Bourel, Lequeutre, etc.
Les œuvres de sculpture sont en moins grand nombre ; à côté de plusieurs bustes, médaillons et statues de Jean-Jacques Elshoecht, il faut signaler un beau groupe en bronze représentant le Combat d’un tigre et d’un crocodile, œuvre puissante où semblent s’être condensés toute la science et tout le talent de son auteur, le grand animalier Barye. Feuchère retient à son tour l’attention avec un bas-relief en bronze, la Résurrection de Lazare, œuvre de jeunesse où se révèlent déjà toutes les qualités dont l’artiste devait faire preuve dans l’âge mûr. Chatrousse nous captive avec une Madeleine repentante, qui lui valut une médaille au Salon de 1864. Voici encore des bustes de Bonnassieux ; l’esquisse en plâtre de la Statue de Napoléon élevée sur la colonne de Boulogne, par Bosio ; un joli bas-relief en bronze d’Antonin Moine ; un marbre de Canova , Napoléon 1er ; le buste de Jean Bart de Lemot, dont nous avons parlé plus haut, enfin le Roméo et Juliette de Noël, très remarqué au Salon de 1875.
Saluons, en quittant le musée, un dernier souvenir local, le Bombardement de Dunkerque par l’amiral Berkeley, tableau en camaïeu bleu formé de 540 carreaux de faïence de Delft.
Hôtel de ville, église Saint-Jean-Baptiste, parc de la marine.
Continuant notre promenade vers l’est, nous laissons au sud le champ de manœuvres et les grandes et belles casernes qui l’avoisinent ; nous passons devant l’arsenal, dont, vous le comprenez, nous ne franchirons pas le seuil, et nous revenons vers l’ouest par la rue du Collège. Dans cette dernière, nous rencontrons la Bourse, édifiée en 1754, et le collège, qui, depuis 1826, occupe la place où s’élevait précédemment l’église des jésuites ; puis nous arrivons à l’hôtel de ville.
L’édifice municipal est une construction du dix-septième siècle, augmentée, en 1810, d’un péristyle qui donne à son entrée l’aspect d’un temple grec. La salle des Pas perdus, vaste mais un peu triste, est décorée du buste de Louis XIV et de ceux de quelques Dunkerquois célèbres : Pierre Lhermite, Guilleminot, Thiéry, etc.
Nous n’avons maintenant que quelques pas à faire pour nous trouver sur le quai des Hollandais, centre d’une animation ininterrompue. Le port d’échouage fuit à notre droite vers le nord-ouest et va rejoindre le chenal par deux écluses. Devant nous est le vaste bassin du Commerce, communiquant au sud avec les bassins dits de l’Arrière-port et de la Marine, à peu près égaux en superficie. Au delà, et relié au port d’échouage et au bassin de la Marine, s’étendent le vaste bassin Freycinet et ses quatre darses séparées par des môles. Tous les quais bordant les bassins sont pourvus de voies ferrées. Plusieurs phares éclairent le port ; le principal est au sommet d’une tour qui avait été rasée en 1713 et qu’on a reconstruite de 1838 à 1846 ; faites-en l’ascension, vous vous trouverez au centre d’un panorama qui n’a pas moins de 10 lieues d’étendue, et permet, d’un côté, de planer sur la ville, le port, les bassins, la campagne environnante, et de l’autre, d’embrasser le spectacle magnifique de la mer du Nord .
Suivons le quai, entre les maisons basses et propres qui le bordent et la forêt de mâts, de vergues, de coques de navires émergeant du bassin du Commerce, circulons à travers les wagons qu’on remplit ou qu’on vide ; admirons, en passant, la martiale physionomie des marins et des travailleurs formant ici toute une armée, et nous arriverons bientôt à l’église Saint-Jean-Baptiste, où nous nous arrêterons pendant quelques instants.
Cette église Saint-Jean-Baptiste, bâtie au dix-huitième siècle, appartenait à un couvent de récollets. C’est une curieuse agglomération de chapelles richement boisées, décorées avec goût et renfermant plusieurs tableaux de grands maîtres ; ici, l’Enlèvement de sainte Catherine par les Anges, de Gaspard de Crayer ; là, une Fuite en Égypte, du Guide ; plus loin, une Sainte Face, de Rubens ; un Ecce Homo, de Van Dyck, etc. L’église est, vous le voyez, une sorte de petit musée chrétien ; aussi ne sommes-nous pas surpris d’y trouver, au-dessous d’un Christ en marbre qu’on attribue à Canova, la tombe de Jean-Jacque Elshoecht, le grand sculpteur, né à Bergues, qui avait fait de Dunkerque sa patrie d’adoption, et à qui tant d’églises doivent des groupes d’une grande valeur artistique exécutés avec un profond sentiment religieux.
Continuant à nous diriger vers le sud , nous longeons le côté est du bassin de l’Arrière-port, nous passons devant les établissements de la marine et, derrière eux, nous trouvons le parc agréable et bien planté connu sous le nom de parc de la Marine. C’est la promenade favorite des citadins et celle aussi qu’ils ne manquent jamais de faire visiter aux touristes. Quand nous aurons parcouru ses allées plantées de beaux arbres, admiré ses vertes pelouses, respiré le parfum de ses massifs fleuris, entendu, si notre promenade a lieu un dimanche, quelques airs joués par la musique militaire, nous aurons fait complètement notre tour de ville et nous nous retrouverons à une courte distance de notre point de départ.
Tour du Leughenaere, Notre-Dame des Dunes, Chambre de commerce, le port.
Cela ne veut pas dire que nous ayons vu tout ce qui est ici digne d’intérêt ; avant de quitter Dunkerque, nous nous transporterons vers le chenal et nous nous arrêterons sur le quai des Hollandais et devant la tour du Leughenaere.
Cet édifice, de forme octogonale et haut d’une trentaine de mètres, était, au quatorzième siècle, la tour cornière d’un château qu’habitait la dame de Cassel ; à son sommet flottaient en ce temps les trois drapeaux du roi de France, du comte de Flandre et du seigneur foncier. Aux heures de danger, on en hissait un quatrième qui était de couleur noire. S’il faut en croire la légende, on abusait quelque peu de ce signal d’alarme ; aussi finit-on par ne plus y croire et la tour fut-elle appelée leughenaere, mot flamand qui signifie menteur. Les drapeaux ne claquent plus dans le vent au faîte de la tour, mais, nous l’avons dit, elle supporte un feu fixe, et la nuit, les cadrans que vous voyez sur ses flancs sont éclairés.
A 300 mètres environ de la tour, au bout de la rue Carnot, nous trouvons le monument commémoratif de la levée du siège de 1793, édifié à l’occasion de son centenaire ; c’est une colonne reposant sur un piédestal richement orné et supportant une statue de la Victoire, due au sculpteur Lormier. Plus loin s’élève la chapelle Notre-Dame des Dunes. L’édifice est moderne, il a été bâti au commencement du règne de Louis XVIII et agrandi en 1858, mais la fondation remonte au quinzième siècle, car la statuette de la Vierge qu’on y conserve précieusement a été trouvée en ce temps-là dans les sables de la côte. La piété des marins est toujours vive pour Notre-Dame des Dunes, ainsi qu’en témoignent la fréquence des pèlerinages qui se dirigent vers la petite chapelle et les innombrables ex-voto qui couvrent ses murs.
Nous avons fait trois cents pas à l’est des quais, faisons-en cinq cents à l’ouest et dans le quartier qui fut autrefois celui de la Citadelle, nous verrons les beaux bâtiments inaugurés au mois de juillet 1891 où s’abritent les divers services d’inspection du port, les chambres syndicales et la Chambre de commerce. Cette Chambre était précédemment installée sur le quai près de la tour du Leughenaere ; elle a de grands hangars sur le môle n° 2.
Cette Chambre conserve, outre une riche bibliothèque, des archives d’un grand intérêt local et plusieurs anciennes vues de Dunkerque très curieuses pour son histoire et pour la reconstitution de sa topographie passée.

Reposons-nous de la longue course que nous venons de faire , contemplons le grand et imposant spectacle du large, voyons les barques et les bateaux entrer dans le port et en sortir, les unes hardies et légères, les autres majestueux et imposants ; admirons l’ensemble magnifique que forment les jetées, le chenal, le port d’échouage, les bassins de Freycinet, leurs quatre darses et la magnifique écluse Trystram (inaugurée le 13 septembre 1896), ceux du Commerce, de l’Arrière-port, de la Marine, enfin les écluses et les canaux. L’eau est reine ici, mais reine bienfaisante et généreuse ; elle se répand partout où elle est utile, partout où elle peut ajouter aux facilités des transactions, à la richesse de la ville, à son originalité.
Au reste, c’est le moment de le faire observer, Dunkerque, par son mouvement maritime, est le quatrième port de France. Comme importance commerciale, il suit immédiatement Marseille et le Havre . On reçoit ici des laines de l’Uruguay et de la Plata, des céréales, des riz, des légumes secs, des huiles végétales, des mélasses, des fruits, des graines oléagineuses. La Russie envoie ses bois à Dunkerque, la Suède et la Norvège lui adressent leurs goudrons. Sur ce quai, l’on décharge des minerais de zinc, de cuivre ou de fer ; sous ce hangar, on entasse des peaux de mouton ; sous cet autre, on emmagasine des produits chimiques ou des engrais ; ici arrivent les bitumes, là les écorces à tan, ailleurs des chevaux, des bœufs et des moutons.
L’exportation n’est pas moins active. Les pailles et foins pressés, les tourteaux de graines oléagineuses, les phosphates naturels, le ciment, la craie, la marne, les fers en barres, les fils et les tissus, les sucres, les farines, et enfin une grande partie de la production houillère du Pas-de-Calais et du Nord ; tout cela arrive à Dunkerque et en part pour les destinations les plus diverses et en quantités considérables.
Ajoutons que Dunkerque est desservie par de nombreuses lignes régulières de navigation et compte deux cent soixante navires à voiles et à vapeur attachés à son port .
Faisons maintenant quelques promenades. Suivons d’abord les quais qui longent le port d’échouage et nous atteindrons la jetée de l’Est et, tout en respirant le grand air salin, tout en regardant au loin le roulis des vagues que le soleil argente, nous verrons le monument élevé à la mémoire de François Tixier, un sauveteur qui mourut victime de son dévouement ; son buste, dû au sculpteur dunkerquois Schadet, est placé sur un socle pyramidal orné d’ancres, il domine le large, et le regard du courageux marin semble encore fouiller l’horizon pour découvrir une barque en détresse ou quelque naufragé luttant contre les flots.
Ceci vu, nous allons quitter les travailleurs pour les oisifs, les marins pour les baigneurs, le port pour la plage, Dunkerque pour Rosendaël et Malo-les-Bains.
Rosendaël, Malo-les-Bains.
Rosendaël est un vieux bourg qui dépendait autrefois de Coudekerque et qui, depuis un demi-siècle, a pris assez d’extension pour qu’on ait pu en 1891 en détacher la commune de Malo-les-Bains, dont la plage remplace fort avantageusement l’établissement de bains primitivement établi à Dunkerque à droite du chenal, près de l’entrée du port.
On se rend à Rosendaël par le chemin de fer ou par le tramway ; quand vient le dimanche, les Dunkerquois ferment leurs magasins et, comme les Parisiens vont à Saint-Cloud ou à Meudon, ils vont à Rosendaël.
Sur le chemin, à la sortie de la ville, ils rencontrent le vaste parc Jacobsen ; c’est le bois de Boulogne du lieu .
Dans son voisinage, on a construit l’hospice de Dunkerque, un vaste bâtiment agrémenté de larges cours et de beaux jardins et dont le caractère architectural est fort élégant.
Quant à Rosendaël, c’est une agglomération charmante de maisons de campagne, de jardins verdoyants, de pépinières en pleine production, de villas coquettes et souvent d’assez aristocratique allure.
Ajoutez à cela nous ne savons combien de bals, de restaurants aux vastes salons, de lieux de plaisir, aux alléchantes enseignes, pour la plupart empruntées à l’argot parisien ; il y a là le Bal Mabille, l’Hippodrome, l’Hirondelle, le Bois de Vincennes, le Rendez-vous des amis, les Bienvenus, Jean-Bart, etc. Tout cela est de patriarcal aspect, tenu par des gens accueillants et brille de cette irréprochable propreté qui est le caractère dominant des villes du Nord.
Ne supposez pourtant pas que le lieu soit absolument frivole. On y travaille, les pépinières dont nous avons parlé vous l’ont prouvé ; vous y trouverez encore d’autres industries prospères et particulièrement quelques-unes de ces grandes brasseries où se confectionne cette excellente bière du Nord qui se vend ici 10 centimes le verre.
Rosendaël a aussi sa mairie et son église, la première bâtie au fond d’une place décorée d’un kiosque à musique, la seconde sans originalité.
Transportons- nous à Malo-les -Bains.
Une digue splendide, bordée de villas, de chalets, de jardins, rivalisant d’élégance, d’originalité et de fraîcheur ; un casino, construit par M. Colibert, un Kursaal, où les divertissements artistiques ou mondains se succèdent sans interruption et varient de jour en jour ; le joli square Rombout, grand jardin anglais, promenade agréable bien que manquant d’ombre, où les enfants s’ébattent, tandis que les mères s’abandonnent à leur délicieux babillage ; tout cela, vous le voyez, suffit pour attirer à Malo-les-Bains et pour y retenir.
Mais dirigeons-nous vers la mer. Elle vient mourir ici sur une immense étendue de sable d’une douceur et d’une finesse telles qu’on croit, en le foulant, marcher sur un tapis moelleux. Dans les belles journées, quand un chaud soleil dore le sol et argente les vagues, quand tous les baigneurs se sont portés vers la plage, le coup d’œil qu’elle offre est véritablement très curieux. Rien de plus amusant que la multiplicité et la diversité des cabines qui se sont fixées là, des tentes-abris qui s’y dressent, des immenses parasols qui s’y déploient parfois au-dessus de toute une famille. Au milieu de cette agitation joyeuse, parmi ces hommes souriants, ces femmes élégantes, ces jolis babys aux jambes nues, ces bandes d’ânes gris aux oreilles pomponnées de rouge, devant ces coquets salons improvisés entre quatre planches, si parisiens par le luxe et la causerie ; devant d’autres si londoniens par les couleurs criardes qui les décorent et la raideur de ceux qui les fréquentent ; parmi cette infinie variété de types, de costumes, d’allures, charmé par cette familiarité générale qui prendra fin avec la saison, étourdi par ce mouvement auquel se mêlent les vendeurs et les loueurs de toutes sortes d’objets, on se croit volontiers transporté au milieu d’un de ces kans dont parlent les contes orientaux et que les caravanes dressaient près des villes que leur présence eût encombrées.
Où le flot arrive, les tentes et les cabines fixes font place aux cabines roulantes que de forts percherons emmènent dans la mer et y laissent jusqu’à ce que les baigneurs jugent à propos de revenir ; là, les nageurs se livrent à leurs ébats, et les bateaux de sauvetage, avec leur petit pavillon qui frémit dans l’air comme une flamme, dansent doucement sur la vague.
Les bains sont souvent le but d’un voyage à Dunkerque ; mais, on l’a vu par ce qui précède, ils ne sont pas l’unique attrait de cette belle ville ; elle est de celles où l’on peut séjourner longtemps avec plaisir après l’avoir visitée avec intérêt, de celles aussi qui peuvent les lignes qui suivent vont le prouver servir de point de départ à de fort intéressantes promenades faciles à faire en une journée et parfois même entre le repas du matin et celui du soir. Nous allons vous signaler celles qui sont le plus susceptibles d’attirer un touriste.
Bray-Dunes, les Moëres et les wateringues.
Dirigeons-nous vers la frontière belge, mais continuons à suivre pendant quelque temps le littoral, nous ne tarderons pas à rencontrer Bray-Dunes, un petit village propre et gai dont les baigneurs que le mouvement des grandes plages effraye commencent à apprendre le chemin et qui, dans quelques années, aura très probablement acquis un bon rang parmi nos sableuses plages du Nord. Mais, après Dunkerque, Bray-Dunes ne saurait passer pour un lieu curieux, et nous vous l’avons signalé, d’abord parce qu’il se trouvait à peu près sur notre chemin, ensuite parce que son calme et sa vie bourgeoise font un contraste amusant avec l’agitation de Malo-les-Bains et la vie mondaine qu’on y mène.
Rentrons donc maintenant dans les terres et dirigeons-nous vers les Moëres. Ici, nous ne sommes ni sur l’eau ni sur la terre, mais dans d’immenses et fécondes prairies sillonnées de canaux, conquises par le continent sur la mer et qui, au commencement du dix-septième siècle encore, étaient, en quelque sorte, le déversoir qui recevait toutes les eaux insalubres des pays environnants et n’avaient guère pour habitants que des reptiles et des animaux aquatiques ; quant à l’homme, il fuyait prudemment ces lieux malsains. De grands travaux de dessèchement furent entrepris ; les Moëres françaises et belges sont non seulement habitables, mais peuplées de cultivateurs heureux des belles récoltes de houblon, de lin, de tabac, qu’ils font chaque année.
Les Moëres, grande et petite (moures , de moor, moer, marais, en flamand), forment dans leur vaste ensemble deux espèces de cuvettes ovales dont le fond, légèrement inférieur au niveau de la mer, est à environ 3 mètres au-dessous des plaines environnantes. Les eaux qui pourraient s’accumuler dans ces bas-fonds ne tarderaient pas à en refaire les lacs méphitiques d’autrefois sans ce réseau de rigoles qui les divisent en carrés réguliers, lui donnent l’aspect d’un gigantesque échiquier, reçoivent toutes les eaux inutiles et les rejettent au moyen de machines à feu et de moulins dans le Ringsloot (ring, cercle ; sloot, fossé), canal qui rejoint celui de la Cunette et dont le trop-plein s’écoule par le chenal de Dunkerque.
Les exhalaisons de ces marais avaient, en 1582, produit une peste qui fit à Hondschoote un grand nombre de victimes. Trente-sept années se passèrent encore pourtant avant qu’on songeât à préserver le pays d’une calamité nouvelle ; en 1619 seulement, un ingénieur belge, le baron Wenceslas de Cobergher, entreprit le dessèchement des marais et l’obtint par la création des canaux que vous voyez. Dès 1632, le village des Moëres était créé et comptait déjà cent quarante fermes dont les affaires prospéraient ; malheureusement, en 1646, les Espagnols, alors assiégés dans Dunkerque, rompirent les digues pour leur défense et le magnifique travail de Cobergher fut anéanti ; le malheureux mourut de chagrin.
Quant aux Moëres, malgré plusieurs tentatives toujours entravées par les guerres, elles restèrent englouties jusqu’au commencement de ce siècle. En 1802 enfin, et sous la direction de M. de Buyser, les rigoles, les canaux, les machines élévatoires, furent rétablis ; la contrée rentra dans une ère de prospérité que troublèrent, sans compromettre l’avenir, les invasions de 1814, 1815 et 1870. A cette dernière époque, les wateringues (ainsi se nomment les canalisations) furent sauvées de la destruction grâce à la fermeté et à l’intelligence du directeur des travaux hydrauliques, M. Raillard.
Plus riches, et produisant de plus précieuses récoltes que les hortillonnages d’Amiens, les wateringues sont de moins pittoresque aspect ; ainsi qu’eux, elles méritent d’être étudiées au point de vue pratique, et la pensée qui a présidé à leur conception est de celles que nous nous reprocherions de ne point expliquer en quelques lignes.
Les pays wateringues sont doublement favorisés. En même temps que le dessèchement est obtenu par l’évacuation des eaux surabondantes vers la mer, l’alimentation d’eau douce nécessaire à l’arrosement est assurée pour le temps plus ou moins prolongé des sécheresses. Les canaux qui reçoivent les eaux des rigoles, fossés d’assainissement qu’on nomme dans le pays des watergangs, se déversent dans d’autres canaux séparés de la mer par des écluses ; celles-ci s’ouvrent à marée basse et se ferment quand le flot revient, chassant ainsi les eaux salées et retenant les eaux douces.
Ces travaux qui, tant en France qu’en Belgique, ont fertilisé pour l’agriculture plus de 40.000 hectares de terres, sont placés sous la surveillance constante de commissions syndicales choisies parmi les grands propriétaires et les grands exploiteurs des Moëres et formant ce qu’on appelle dans le pays l’administration des wateringues.
Au sud des Moëres, sur la lisière de notre territoire, à 1.500 mètres de la frontière belge, reliée au canal qui va de Bergues à Furnes par la becque de Hondschoote , petit canal long de 2 kilomètres, vous apercevrez le haut clocher de Hondschoote.
Hondschoote.
Ce chef-lieu de canton, dont l’origine remonte, dit-on, au dixième siècle, au temps de ce comte Baudoin III, à qui l’on attribue la fondation de Dunkerque, eut une assez grande étendue jadis et, au seizième siècle, compta jusqu’à 22.000 habitants. Bien déchue aujourd’hui, la commune n’en a pas 4.000. Cet amoindrissement est dû aux nombreuses calamités qui ont frappé la ville et qu’il suffit d’énumérer pour donner une idée des ruines qu’elles ont causées.
Lorsque, en 1383, les Anglais furent expulsés des Flandres, Hondschoote, puissante déjà, fut une première fois pillée, incendiée et devint un monceau de décombres. Elle se releva avec cette lenteur méthodique et cette persévérance invincible qui caractérise les gens du Nord, elle redevint belle, grande et peuplée, mais l’armée du maréchal de Thermes la ruina de nouveau en 1558. La tourmente passée, on songea aussitôt à en effacer le souvenir. On rebâtit les maisons, on releva les monuments, on rouvrit les ateliers ; deux violents incendies consumèrent encore tout cela au cours des années 1576 et 1582. Un peu plus tard, la peste décima la population, enfin, en 1708, Hondschoote, tombée au pouvoir des Hollandais, subit encore un pillage et fut réduite en cendres.
La malheureuse cité ne se releva pas de ce dernier coup. Elle se résigna à l’existence modeste d’une petite ville obscure et laborieuse. Elle était à peu près oubliée quand un événement imprévu attira l’attention sur elle, quand une bataille, plus grande encore par ses conséquences que par elle-même, immortalisa son nom.
Nous avons rappelé plus haut ce que fut ce fait d’armes, aurore des victoires qui devaient assurer notre indépendance ; sa portée morale étant connue, il ne nous déplaît pas de dire quelques mots du général Houchard, héros de ces journées, et l’un des grands sacrifiés de cette époque.
Houchard était en réalité un bon soldat, mais non un grand homme de guerre ; son patriotisme, qu’on ne saurait mettre en doute, le mit en ces journées des 6-8 septembre à la hauteur des circonstances, et il remplit brillamment sa mission. Malheureusement, épuisé par cet effort, peut-être, il ne put ou ne sut délivrer Mayence assiégée. Une heure de faiblesse équivalait alors à un crime. Le général, victorieux un jour, indécis le lendemain, fut arrêté, amené à Paris, jugé et condamné à mort. La victoire d’Hondschoote aurait pu lui mériter l’indulgence de ses juges. Ils furent implacables ; sa tête tomba sur l’échafaud le 17 novembre 1793 .
Aujourd’hui, Hondschoote est calme et travaille : boisselleries, brasseries, huileries, tanneries y sont actives, mais la ville est silencieuse ; un moulin qui tourne joyeusement à son entrée projette l’ombre de ses grandes ailes rouges jusque sur les tombes, assez belles parfois, de son cimetière ; ses basses maisons, peintes de couleurs diverses à la mode hollandaise, se groupent autour d’une église et d’un hôtel de ville que vous seriez surpris de trouver dans cette localité si nous ne vous avions rappelé son passé.
L’église, bâtie aux quinzième et seizième siècles, est un monument de belles proportions ; une élégante flèche en briques surmonte sa tour ; de forme polygonale, ornée de crochets sur ses arêtes, éclairée par de jolies lucarnes et assise sur une terrasse ornée de clochetons fleuronnés à ses angles, cette flèche atteint une hauteur de 82 mètres ; elle signale au loin la ville au voyageur et excite sa curiosité. A l’intérieur, divisé en trois nefs, boisé sur tout son pourtour et éclairé par des fenêtres ogivales, on remarque, pour la beauté et la richesse de ses ornements sculptés, le buffet d’orgues, œuvre du dix-huitième siècle, et la chaire, au-dessous de laquelle on admire une magnifique statue du Bon Pasteur.
L’hôtel de ville, contemporain de l’église, est un édifice simple, mais de grande allure. Il n’a qu’un étage percé de sept fenêtres au-dessus de son rez-de-chaussée, dont un porche coquet occupe le centre ; trois jolies mansardes rient au bas de son grand comble. Là, nous apprenons que Hondschoote a ses armes ; elle porte d’hermine à une bande d’argent, chargée de trois coquilles de sable.
L’une des salles de l’hôtel de ville est décorée d’une œuvre du peintre Bellangé qui eut un grand succès au Salon de 1840 : la Bataille de Hondschoote. On ne pouvait mieux placer ce souvenir. Entre le monument religieux et l’édifice municipal, sur la vaste place qui les sépare, on a inauguré, le 15 juin 1890, un monument commémoratif de la victoire de 1793 , dû à M. Darcq, statuaire né à Lille.
C’est, sur un piédestal en pierre, une statue en bronze symbolisant la Victoire et tenant un drapeau dans l’une de ses mains et une épée dans l’autre.
Bergues.
Pour nous rendre à Bergues, que nous tenons à visiter, nous prendrons une voiture publique qui stationne auprès de la Grande-Place de Hondschoote et qui , pendant une heure et demie , roulera dans un pays plat sur une route qui côtoie à peu près constamment le canal de Bergues formé par la Colme, qui va rejoindre à Furnes, en Belgique, celui qui gagne la mer à Nieuport. On aurait pu faire le trajet en chemin de fer, mais l’éloignement des gares et le peu de fréquence des trains rendent l’économie de temps que ce moyen paraît présenter absolument illusoire.
Nous remarquons sur ce canal plusieurs jolis ponts levants assez gracieux de forme et actionnés par un simple et ingénieux mécanisme. A mi-chemin , le voiturier s’arrête pour faire souffler son cheval, nous pouvons jeter alors un coup d’œil sur le paysage qui nous entoure. Sur le canal glissent des bateaux chargés, dont la barre est tenue par des femmes d’une remarquable robustesse ; au-delà, les champs de betteraves s’étendent à perte de vue jusqu’aux Moëres ; de-ci de-là, une ferme ou un moulin rompent pour un instant la monotonie de l’ensemble ; à notre gauche pointent dans le ciel la tour et la flèche en brique de Warhem, un gros village qui compte environ 2.200 habitants. Le cocher remonte sur son siège ; le cheval, rafraîchi, reprend son allure tranquille. La route et le canal continuent à s’allonger devant nous ; des maisonnettes apparaissent de loin en loin ; une briqueterie jette à notre gauche un joyeux ton rouge. Un grondement nous arrache à notre contemplation, la voiture traverse un pont jeté sur le canal de la Colme, qui rejoint ici celui de Bergues, et nous entrons dans cette dernière ville par la porte de Hondschoote, sculptée à son faîte et s’ouvrant dans des remparts garnis de canons braqués.
La voiture ne s’arrête qu’au centre de la ville, nous avons donc quelques minutes à nous ; employons-les à causer du passé.
La ville, qui doit son origine au château de Berg où saint Winoc se retira en 902, s’appela d’abord Groen-Berg, montagne verte. C’est aujourd’hui un chef-lieu de canton qui compte près de 5.400 habitants. Des tanneries, des corroiries, des raffineries de sucre et de sel, des fabriques de savon, de chapeaux et de poteries représentent ses principales industries. Quant à son commerce, il est fort important en grains, bestiaux, beurres, fromages, et aussi car on songe point, à Bergues, qu’à l’alimentation – en dentelles, la ville étant l’entrepôt de toutes celles qui se fabriquent dans la contrée.
Bergues est place de guerre de deuxième classe ; c’est peut-être une sorte de déchéance pour elle, car elle est place forte depuis bien longtemps ; ses premiers ouvrages de défense ont été bâtis par le comte de Flandre, Baudoin le Chauve, qui mourut en 918. Baudoin le Barbu, un de ses descendants, le fondateur des foires de Flandre, fit construire le monastère placé sous l’invocation de saint Winoc, magnifique établissement qui fut, pendant de longs siècles, la gloire du pays, mais dont la présence ne le préserva ni des désastres de la guerre, ni des sinistres de l’incendie. Trois fois, en 1083, 1123 et 1215, la ville fut détruite par le feu, trois fois elle se reconstruisit. Dès le début du quatorzième siècle, son sort devint à peu près semblable à celui de Dunkerque. Sans nous arrêter aux péripéties des attaques qu’elle a soutenues, nous allons signaler les principaux changements de maîtres qu’elle a subis. Les Français, qui s’en emparèrent en 1302, la conservèrent pendant vingt-six années. Saccagée par les Anglais, en 1383, elle tomba, deux ans plus tard, au pouvoir du duc de Bourgogne, Philippe le Hardi, qui la fit rebâtir et l’entoura de fortifications nouvelles. Environ cent ans après, en 1494, elle fut, encore une fois, brûlée. Le maréchal de Thermes vint l’assiéger au cours de la campagne de 1558 ; il réussit à s’en emparer et célébra sa victoire par le massacre des habitants et l’incendie de la ville et de l’abbaye. Le roi d’Espagne, Philippe II, fit appel à l’énergie de la population et, tandis qu’il l’encourageait à relever ses maisons, il faisait réédifier son enceinte.
Bergues, à la fin du seizième siècle, était une des plus belles cités des Flandres. Turenne s’en empara en 1658, mais, lors de la conclusion du traité des Pyrénées, elle fut rendue à l’Espagne. Reprise par Louis XIV, en 1667, elle devint définitivement française l’année suivante lorsque fut conclue la paix d’Aix-la-Chapelle. Louis XIV fit fortifier la place par Vauban, d’autres travaux de défense furent ajoutés à ceux du grand ingénieur, et Bergues, sous la Révolution, put résister victorieusement aux Anglais qui l’assiégeaient.
Mais nous voici près du beffroi, c’est la principale curiosité de la ville, celle vers laquelle se dirigent immédiatement tous ses visiteurs ; c’est incontestablement un des plus beaux de la région; construit au seizième siècle, bien restauré de nos jours, il est classé parmi les monuments historiques, ce qui assure sa conservation.
C’est une haute tour carrée, aux murs tapissés d’arcatures trilobées, dont quelques-unes seulement sont percées d’étroites ouvertures ; cette tour est flanquée, à son sommet, de quatre élégantes échauguettes, coiffées de toitures polygonales et encadrant de grands cadrans d’horloge ; du centre de l’édifice et le couronnant s’élance une lanterne en charpente percée sur ses huit côtés d’ouvertures garnies d’abat- son ; original dans sa forme, coquet dans ses détails, ce campanile renferme une cloche qui pèse 6500 kilogrammes. Du haut de la tour et conformément à l’antique usage, un veilleur de nuit crie dans un porte-voix les heures et les demi-heures. Le carillon joue les dimanches, les jours de fête et les lundis, jours de marché.
L’église paroissiale, placée sous le vocable de saint-Martin, a été réédifiée au seizième siècle. C’est un monument en briques, de style ogival, qui mérite d’être visité ; on y conserve, remarquable travail d’orfèvrerie, la châsse contenant le corps de saint-Winoc, et l’on voit, parmi les tableaux qui l’ornent, une belle Adoration des Mages, de J. de Reyn, datée de 1641, et des toiles, dues à Janssens et à Van Oucke, représentant les Apôtres et leur martyre. Le maître-autel est décoré d’un retable en marbre et en cuivre fort habilement exécuté de nos jours dans le style du temps de Louis XIV.
A côté de l’église, la gendarmerie occupe un immeuble d’un beau caractère bâti en 1633 .
L’hôtel de ville a été reconstruit peu de temps avant la dernière guerre dans le style d’un édifice que les Espagnols avaient élevé en 1664. Nous y remarquons les armes de la cité ; elle porte : parti : le premier, d’argent au lion de sable ; le deuxième, d’argent à la fasce de sable, et un clou de même en pointe, au franc quartier d’or, au lion de sable, à la bordure de gueules. A l’hôtel de ville , on peut encore visiter la bibliothèque et le musée.
La bibliothèque contient environ 6.000 volumes, ayant, pour la plupart, appartenu à l’abbaye de Saint-Winoc ; on y montre avec un légitime orgueil un manuscrit latin racontant les vies de saint Winoc, de saint Oswald et de sainte Levinne, écrit et enluminé au douzième siècle par un religieux nommé Drogon. Parmi ses curiosités, la bibliothèque possède encore un très remarquable livre d’Heures du treizième siècle et une Bible flamande illustrée de l’an 1700 .
Le musée que l’on visite sous la conduite du gardien doit, lui aussi, ses principales richesses à l’antique abbaye. On y voit beaucoup de portraits, aussi intéressants par leurs originaux que par les artistes qui les ont signés ; tels sont les portraits de Van Dyck, par Jean Cossiers ; de Mathieu Elias, de Van Hoeck et de Vosseus, par eux-mêmes ; de Christine de Suède, par Simon de Vos, d’un Archiduc d’Autriche, par Van Dyck, etc. L’origine du musée étant connue, on ne sera pas surpris d’y trouver un bon nombre de tableaux de sainteté et d’histoire religieuse. Voici : Totila visitant saint Benoît, Jésus mort sur la Croix, Saint Pierre, de Mathieu Elias (Bien que né dans les environs de Cassel, ce peintre, qui fut l’élève de Corbeen, fit sa patrie adoptive de Dunkerque où son maître habitait. Il y passa la plus grande partie de sa vie et y produisit à peu près tout son œuvre) ; un Christ, de Simon Vouet ; un Mariage mystique de sainte Catherine, de Van Balen le Vieux ; un Martyre de saint Sébastien, de Canlassi ; une Adoration des Mages, de Wauters ; un Martyre de sainte Agathe, de Jean de Reyn ; Van Oost le Jeune signe un Saint Jérôme ; A. Frenck, un Saint Jean-Baptiste ; Vroylynck, un Ensevelissement du Christ ; Rubens, l’esquisse d’une Tête de Madeleine. Parmi les tableaux d’autres genres, nous citerons : Rémus et Romulus, du Giorgione ; Icare et Dédale, de Pierre Thys le Vieux ; un Groupe de soldats, de Salvator Rosa ; une Nature morte, de Van Son ; un Buveur, de Jordaens ; un Portrait d’homme, de Terburg, etc. , etc. On peut, vous le voyez, visiter ce musée avec intérêt.
De retour au grand air, nous pourrons aller voir la promenade de Saint-Pierre, qui développe ses quinconces et ses ombrages sur l’emplacement de l’ancienne abbaye. Nous y entrons par une porte monumentale, qui fut l’une de celles du monastère. Deux tours, provenant aussi de l’édifice religieux, sont debout encore ; on les appelle : la tour Blanche et la tour Bleue ; la première a été à peu près entièrement reconstruite en 1818, la seconde a été réparée en 1867 ; ornement pour la promenade, ces tours, entretenues par l’Etat et placées sur une éminence, ont leur utilité ; elles servent d’amers aux marins.
La promenade de Saint-Pierre est le lieu que choisissent, pour leurs exercices, les amateurs du tir à la perche, jeu très populaire dans le Nord.
Nous quittons Bergues par la rue de Bierne, qui conduit à la porte du même nom ; nous rencontrons sur notre chemin la grande citerne qui approvisionne d’eau toutes les casernes, puis le couvent et l’église ogivale des sœurs noires, et enfin, à la sortie de la ville, la caserne de Thémines (autrefois de Bierne) construite en 1732 dont la porte ne manque pas de caractère, mais dont tous les bâtiments sont recouverts d’un badigeon jaune du ton le plus désagréable qu’il soit possible d’imaginer.
Ce même badigeon, nous le retrouvons sur la porte de Bierne, qui creuse dans l’enceinte de la ville son arcade précédée d’un pont-levis et encadrée de deux tours découronnées.
Nous n’avons plus que quelques pas à faire pour atteindre la gare de Bergues, une construction en briques qui date de 1857, et là nous prendrons un train qui nous mènera, en neuf minutes, à Coudekerque-Branche d’abord, puis ensuite, en vingt-trois minutes, à Bourbourg. Cette dernière localité vue, nous aurons visité toute la partie du département du Nord que l’on désignait autrefois sous le nom de Flandre maritime.
Coudekerque-Branche, Petite-Synthe, Craywick, Bourbourg.
Coudekerque-Branche, où nous changerons de train, a près de 3.000 habitants ; c’est une ville industrielle ; on y fabrique des toiles à voiles ; elle possède aussi des filatures et des amidonneries importantes.
Petite-Synthe, située à 1 kilomètre au sud de l’ancienne écluse du canal de Mardyck, compte environ 2.600 habitants ; on y trouve un grand entrepôt de bois du Nord, des fabriques d’huile de schiste, de savon et des filatures. La commune possède une église, bâtie au quinzième siècle ainsi que celle de Spycker, village voisin.
Craywick est beaucoup moins important ; on y voit une église qui, remaniée à diverses époques, depuis le douzième jusqu’au dix-septième siècle, a conservé quelques débris intéressants de sa construction primitive. Mais nous voici à Bourbourg.
Ce petit pays se divise en deux parties : Bourbourg-Ville, qui compte environ 2.460 habitants ; Bourbourg-Campagne, peuplé de 2.750 âmes.
Comme Gravelines, la localité fut créée au moyen-âge et sans doute par les comtes de Flandre. Elle devait avoir une certaine importance au commencement du dixième siècle, puisque, à cette époque et par les ordres de Baudouin II dit le Chauve, elle fut entourée de murailles et de fossés. Plus tard, vers l’an 1100, Clémence de Bourgogne, femme d’un autre comte de Flandre, Robert de Jérusalem, y fonda un couvent de bénédictines.
Au quatorzième siècle, quand les Anglais eurent pris Gravelines, ils s’emparèrent de Bourbourg, mais ne le conservèrent que pendant peu de temps. Après des fortunes diverses, la ville, grâce à Turenne qui la prit en 1657, fit définitivement retour à la France et fut une de celles que le traité des Pyrénées reconnut comme lui appartenant.
En 1760, on a canalisé une dérivation de l’Aa ; c’est le canal de Bourbourg, qui a 21 kilomètres de longueur et rejoint le canal de Dunkerque. Bien que la création du chemin de fer ait réduit le mouvement commercial de ce canal, il n’en demeure pas moins précieux au point de vue de l’irrigation et du desséchement de la contrée.
Il ne reste rien du couvent fondé par Clémence de Bourgogne, rien non plus du château seigneurial ; celui-ci a été détruit en 1528 et n’a pas été réédifié. De nos jours , la ville est industrielle et commerçante ; on y voit une minoterie à vapeur, des brasseries, des tanneries, une fabrique d’huile, des blanchisseries de toiles, un atelier de construction de machines agricoles, etc.
Les foires et marchés de Bourbourg sont très fréquentés ; quant au commerce des bestiaux qui s’y fait, il a depuis quelques années acquis une grande importance.
En quittant l’avenue de la Gare, on se dirige vers l’église. Construite au seizième siècle, elle a été remaniée au dix-septième ; on y remarque un tabernacle sculpté et doré dans le goût fastueux de cette dernière époque, un buffet d’orgues décoré de statues, une belle châsse du quinzième siècle en bois doré, enrichie de sculptures et de peintures rappelant les miracles opérés par Notre-Dame de Bourbourg ; une autre châsse en bois sculpté portant la date de 1561 ; enfin, sur les murs, on voit quelques tableaux de l’école flamande.
A l’hôtel de ville, construction moderne, vous trouverez une bibliothèque où l’on a réuni plus de 5.000 volumes d’un bon choix, et un petit médaillier où les numismates peuvent trouver quelques types intéressants. Là encore, vous apprendrez que la ville porte : d’azur, à trois tierces d’or, et un chef de même, chargé d’un lion de sable.
Bourbourg-Campagne est situé à 1 kilomètre de Bourbourg-Ville et, comme lui, sur le canal ; on y fabrique du sucre, on y exploite des fours à chaux, des roues de moulin y tournent, des cheminées de distillerie y fument.